Interview de Gauvain Sers
Pour inaugurer notre nouvelle rubrique "Interviews", nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Gauvain Sers à l'occasion de la promotion de son nouvel album "Les oubliés", dont nous vous avons récemment parlé. Dès le début, Gauvain Sers s'avère être comme nous l'imaginions, sympathique, chaleureux, ayant le don pour mettre à l'aise, d'où le tutoiement qui s'est tout naturellement imposé.
Tu viens de sortir ton deuxième album "Les Oubliés", plus intimiste et engagé que "Pourvu". Qu'est-ce qui t'as donné envie de te livrer davantage ?
Gauvain Sers : Cette manière d'aller plus loin, c'est vrai, de marquer une autre étape et de peaufiner certaines choses, était importante. J'avais envie de continuer à mélanger des sujets faits de chansons très personnelles où je me mets vraiment à nu, qui sont finalement celles pouvant toucher davantage les gens, car on y est le plus sincère possible, avec des chansons universelles, au regard porté sur les autres, le monde, tout ce qui se passe autour de moi. C'est ce mélange qui m'intéresse parce qu'il engendre des émotions différentes. J'espère qu'on peut sourire, avoir la larme à l'oeil, être indigné, en écoutant l'album, réussir à créer un panel de sentiments, qui permet ensuite, en concert, de passer par tous les états possibles. J'ai essayé de faire la suite logique du premier sans avoir l'impression de tourner en rond, parce qu'il y a des thèmes vraiment ancrés dans l'époque d'aujourd'hui, qui n'auraient pas pu être écrits dans "Pourvu", sans pour autant se perdre en faisant quelque chose de complètement opposé. J'aurais trouvé ça un peu bizarre. J'ai voulu aller plus loin. Forcément, j'ai un peu plus d'expérience maintenant, et c'est agréable de me connaître un peu mieux, de mieux connaître les musiciens, de travailler avec un nouveau réalisateur, avec Yarol Poupaud, Dominique Blanc-Francard. C'est vraiment la suite logique du premier, je crois, et j'en suis très content.
Ton univers est riche de nombreuses influences anglo-saxonnes, comme Bob Dylan ou Neil Young dont tu parles souvent. Aimerais-tu chanter un jour en anglais ?
Gauvain Sers : En fait, pas tellement, parce que j'aime bien écrire mes chansons de façon à pouvoir ensuite en travailler le texte, jouer avec la langue française, les mots, les expressions, ce qui ne serait pas le cas en anglais. Je me sentirais un peu dépourvu d'outils, finalement. Cela me dérangerait. Par contre, c'est vrai que la musique anglo-saxonne (Bob Dylan, Bruce Springsteen, Leonard Cohen, Simon and Garfunkel) est un genre que j'aime beaucoup écouter au quotidien pour la musicalité, les mélodies, sonorités, en particulier la guitare, mais aussi pour ses enregistrements particuliers avec un son intemporel. Nous avons un peu enregistré l'album comme ça, avec tous les musiciens dans le studio. On jouait ensemble en live comme si c'était un concert avec des prises de son dont on gardait la meilleure. Une manière de travailler qui me plaît, et qui est de plus en plus rare maintenant, à une époque où tout est technologique, sur ordinateur. Je trouvais ça important d'avoir un côté vraiment vivant dans l'album, et pas polissé, ce qui aurait été dommage.
"Les Oubliés", titre éponyme de l'album, fait référence à ceux dont on ne parle pas assez. Il est aussi marqué par ton combat pour sauver l'école primaire de Ponthoile, un très beau geste. As-tu eu peur que le message puisse déplaire ?
Gauvain Sers : A vrai dire, non, pas tant que ça, parce que je n'ai jamais peur que cela soit mal accueilli par le public. J'essaye toujours d'écrire de la manière la plus sincère possible. Évidemment, on ne peut pas plaire à tout le monde, comme avec des chansons plus sociales, engagées. Mais je trouve que ce n'est pas non plus le rôle d'un artiste. C'est important d'avoir ses convictions, d'en parler avec un regard d'artiste, justement, sans donner de leçon, sans essayer d'influencer quelqu'un, sans faire de politique ni de morale. Le but pour moi est vraiment de dépeindre quelque chose, d'avoir un regard extérieur tout en mettant de la poésie sur ce qui se passe. Et après, l'essentiel est de transmettre de l'émotion et surtout pas de convaincre quelqu'un, en particulier lorsque des sujets me touchent, comme la lettre de Jean-Luc Massalon qui m'a donné envie d'en faire une chanson ("Les Oubliés"), ainsi que les treize autres de l'album sur des sujets très variés. Je ne me pose pas de questions sur la réaction des gens, parce que si on se projette sur ce qui va arriver après, on devient fou, et j'ai peur que cela change ma façon d'écrire. Au moment où j'ai composé la chanson "Les Oubliés", j'ignorais qu'elle deviendrait le premier single dévoilé à tous. Je ne savais pas non plus que ce serait le titre de l'album. Quand j'écris une chanson, j'essaye juste de faire en sorte qu'elle soit jolie. Il faut vraiment séparer l'auteur-compositeur de l'interprète, du mec qui va défendre son album.
Ta collaboration avec Michel Bussi pour la bande-originale de son livre "J'ai dû rêver trop fort", qui a donné lieu à la chanson "Que restera-t-il de nous ?" est un concept inédit. Aimerais-tu te lancer dans l'écriture d'un roman, en sachant que tu es déjà auteur?
Gauvain Sers : Honnêtement, je pense que ça me plairait beaucoup parce que je suis assez admiratif et fasciné par les écrivains. Je me rends bien compte que l'écriture n'est absolument pas la même, le format complètement différent. Auteur de chansons et de romans, ça n'a strictement rien à voir. Dans mon cas, ça arrive comme ça, une étincelle en 2-3 jours qui peut être bouclée de A à Z, et pourquoi pas devenir une super chanson. Alors qu'un livre, c'est énormément de minutie, de travail préparatoire, d'abnégation, une rigueur d'écriture pendant des mois. Mais je pense qu'un jour je tenterai ma chance car j'aime écrire, ce qui est évidemment le plus important. Ensuite, il faut trouver la bonne manière de le faire, sa patte, et là, je partirais plutôt sur des nouvelles autour de la vie quotidienne, et non des romans comme ceux de Michel Bussi, plus souvent des thrillers avec de nombreux rebondissements. C'est un travail dingue, assez fou.
La scène dont la mythique salle de l'Olympia, les tournées, bientôt les deux Zenith (en 2020), que ressens-tu lorsque tu te retrouves face à ton public ?
Gauvain Sers : Déjà, je ressens beaucoup de bonheur de pouvoir faire ce métier, notamment pour la scène, le partage et les rencontres avec les gens. C'est comme ça qu'on s'est fait connaître. Par exemple, avec les premières parties de Renaud, t'es vraiment sur scène. Ce n'est pas comme si on avait participé à un télé-crochet ou une chanson matraquée à la radio, et tac, on se fait connaître du jour au lendemain. En réalité, c'est le contact avec le public qui est important pour moi. C'est cette facette de ce métier qui m'intéresse le plus, ce que je préfère, là où je me sens le mieux, en concert. Les préparer, que ce soit un vrai truc, un spectacle et pas juste un enchaînement de chansons, représente beaucoup de choses: pouvoir parler entre les titres, mettre un peu d'humour, c'est cela qui me plaît. Et une fois sur scène, ce n'est que du bonheur, parce que les personnes sont là pour profiter du moment, et le but, c'est d'être le plus généreux possible tous les soirs. Maintenant, c'est vrai qu'il y a deux Zenith programmés. C'est assez dingue. Si on m'avait dit ça il y a trois ans, je n'y aurais jamais cru. J'ai eu un parcours incroyable. Je tente de profiter de tous ces concerts, ces moments, car je sais qu'une carrière, c'est aussi des hauts et des bas. Là, ça fait plusieurs années que ce sont des hauts. Je travaille pour que cela continue, pour être le meilleur possible à chaque tournée. En plus, j'ai la chance d'avoir de supers musiciens, les mêmes techniciens et équipe qui seront là pour la deuxième. C'est dans la continuité, une seconde famille.
A propos de famille, la tienne est assez présente dans tes textes. Que pense-t-elle de ton parcours et de ton ascension ?
Gauvain Sers : C'est vrai, je me suis rendu compte que j'en parlais beaucoup. La famille est essentielle dans nos vies. Mes textes parlent de ce qui se passe dans le quotidien, et forcément, la famille y a une place importante. Quand à ce que la mienne pense de ma carrière, on l'évoque peu. Lorsqu'on se retrouve, j'ai tendance a vouloir parler d'autre chose que de ma musique, mes chansons. Mais elle est très contente, très fière aussi, je pense, de ce que je suis en train de vivre, parce qu'elle sait à quel point j'ai travaillé dur pour y arriver. Il y a quand même eu quelques années de galère, même si elles n'ont pas duré très longtemps. Ça ne tombe pas comme ça du jour au lendemain. A mon avis, ma famille est heureuse que je puisse vivre de ma passion.
Comment as-tu fait pour ne pas te décourager alors que les débuts ne sont jamais faciles. Sentais-tu au fond de toi que tu allais réussir ou avais-tu des doutes ?
Gauvain Sers : J'y ai toujours cru, ça c'est sûr. Je pense que c'est un des facteurs nécessaires pour y arriver. Il faut dire que c'est un métier que beaucoup rêvent de faire. Si on n'est pas motivé à 3000%, et qu'on n'a pas cette volonté-là, c'est impossible de réussir. Après, c'est dans mon caractère, aussi. Quand je m'engage dans quelque chose, je le fais à fond. Et ça, c'est hyper, très, très, très important, même, au quotidien. Il ne faut jamais rien lâcher, et cela au delà de la musique. Quand je faisais du sport, c'était pareil. C'est en moi et cette volonté est un élément important dans la vie de tous les jours.
Tu as également enregistré un titre émouvant "Y'a pas de retraite pour les artistes" avec la grande Anne Sylvestre. Est-ce qu'il y a d'autres artistes, justement, avec qui tu aimerais collaborer ?
Gauvain Sers : Bien sûr. J'adore ça, en plus, les collaborations. Il y en a eu sur chaque album, et c'est à chaque fois un grand grand grand plaisir de pouvoir chanter avec un autre artiste. Là, en l'occurrence, Anne Sylvestre est vraiment quelqu'un que j'admire, qui a une carrière et une œuvre incroyables. Il y en a plein d'autres. Je pense à Alain Souchon, Hubert-Félix Thiéfaine, Jeanne Cherhal. Et d'autres que j'aime également beaucoup. Après, c'est souvent à la suite de rencontres que cela arrive. Je me laisse donc porter par elles. Et si l'occasion se présente, alors elle se présentera. C'est ce qui est chouette aussi dans ce milieu, le côté humain derrière les chansons.
As-tu des projets, un troisième album en vue ?
Gauvain Sers : Pour l'instant, c'est surtout la tournée qu'on est en train de préparer. On a envie de passer un cap sur le côté live, avec un truc qui déchire. Pour le moment, il n'y a pas vraiment de troisième album. Le deuxième vient tout juste de sortir. C'est trop tôt pour se projeter sur un disque. Je continue aussi d'écrire des chansons au quotidien, parce que j'ai toujours des sujets dans mon carnet, sur mon ordinateur. L'écriture se travaille tous les jours, et j'essaye de ne pas oublier cette facette. Il y en aura forcément un troisième. Quand, je ne sais pas. Mais je vais prendre mon temps parce qu'il faut avoir des choses à dire. Je ne veux pas sortir un troisième album pour sortir un troisième album. J'ai vraiment envie de raconter plein de choses, et je veux prendre le temps de bien le faire. Ce n'est pas pour tout de suite, mais on continue de travailler.
Un grand merci à Gauvain Sers pour sa gentillesse ainsi qu'à son équipe pour sa confiance.
Propos recueillis par AKS