Film "Joker" de Todd Phillips DVD Warner Bros 2019/2020
Et si pour une fois, les spectateurs se glissaient dans la peau du méchant ? C'est ce que propose "Joker", le film événement que nous attendions de voir avec curiosité. Car "Joker", l'un des ennemis jurés de Batman, à la fois terrifiant et paradoxalement si vulnérable, était au départ simplement un homme brisé, qui aurait pu avoir un destin bien différent. Après tout, pour affronter son adversaire, il faut d'abord apprendre à connaître ses failles...
L'histoire : Arthur Fleck (Joaquin Phoenix), comédien de stand-up en galère, est agressé alors qu'il déambule dans les rues de Gotham, déguisé en clown afin de subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de sa mère malade (l'impeccable Frances Conroy de "Six Feet Under" et "American Horror Story"). Méprisé, bafoué et tourné en ridicule, il sombre peu à peu dans la folie jusqu'à devenir "Joker", le Joker, un dangereux tueur psychopathe. Mais qui est-il réellement ? Quelles sont ses motivations ? Pourquoi agit-il ainsi ?
Le long-métrage devenu culte répond à ces questions en nous dépeignant ce personnage avant qu'il ne devienne le criminel que tout le monde connaît. Au début de "Joker", on découvre cet homme dans son quotidien aussi morne que sa ville, Gotham, d'abord en homme-sandwich puis en comique pour enfants malades. Mais tout au fond de lui, son rêve le plus fou est de monter sur les planchers sous les applaudissements d'un public conquis.
Arthur voudrait être un véritable humoriste. Pas facile quand on est atteint du syndrome pseudo-bulbaire qui l'empêche de contenir son rire et gâche ses interventions comiques. Au fur et à mesure, cette hilarité incontrôlée devient de plus en plus démoniaque. A la place d'une belle carrière dans le stand-up, Arthur gravit les échelons du crime et de la folie. "Joker" est né...
Todd Phillips nous révèle à sa manière, par un film qui ne s'inscrit dans aucune continuité par rapport aux autres éléments de la franchise "Batman" de DC Comics, les origines de ce super vilain, qui a suscité bien des fantasmes au cours de ces dernières années à travers les comics, séries et films. Raconter les fêlures du clown à l'éternel sourire et à l'inquiétant rire devenu sa signature, exigeait un contexte et le réalisateur a choisi de le mettre en scène dans un Gotham réaliste et dans une époque précise, le début des années 1980. Pas étonnant qu'Arthur se retrouve à Arkham au milieu du film. Mais l'asile d'aliénés des comics "Batman", connu pour son architecture gothique, ressemble ici à un hôpital rongé par les coupes budgétaires. Les scènes dans les couloirs ont d'ailleurs été tournées au sein d'un authentique établissement de santé situé dans le Bronx. Alors qu'il enchaîne les déboires professionnels, les pages de ses cahiers qu'il utilise pour écrire ses sketchs se remplissent de pensées de plus en plus noires, à l'image de Gotham qui broie les plus faibles, en écho à la vision que se fait Arthur du monde extérieur.
Violence, misère, contexte familial compliqué, Arthur évolue au milieu d'une série de circonstances atténuantes. Loin de tout justifier, cet environnement délétère nous fait entrer dans la tête du personnage, accéder à ses pensées et comprendre comment il en est arrivé là.
Une mère malade, manipulatrice, mythomane, violente, l'absence d'image paternelle, l'ombre de la famille Wayne et en particulier d'un certain Bruce qui plane déjà au dessus de lui, une vie sentimentale inexistante malgré son amour non partagé pour sa voisine seront des facteurs déclencheurs de sa démence.
Ses séances avec une psychologue municipale lui permettant de tempérer ses angoisses et de continuer son lourd traitement médical, seront hélas interrompues, faute de budget, ce qui précipitera sa descente aux enfers. Côté travail, ce n'est pas mieux : des emplois ingrats aggravés par sa pathologie (son impossibilité à contenir son rire), d'où de constantes agressions et humiliations qui finiront par le faire renvoyer. Pour couronner le tout, un célèbre présentateur de talk-shows qu'admire sa mère (magnifiquement interprété par le grand Robert De Niro) se rapproche d'Arthur pour de mauvaises raisons, et en paiera le prix dans sa propre émission.
Evoluant entre réalité, hallucinations et frustration, Joaquin Phoenix est époustouflant dans le rôle d'Arthur. Il parvient à nous faire éprouver de l'empathie et de la compassion pour un personnage complexe mais également dévoué et plein de bonnes intentions. Après Jack Nicholson, le regretté Heath Ledger, Jared Leto et Cameron Monaghan (de la série "Gotham"), les précédents interprètes du Joker, Joaquin Phoenix s'est complètement investi dans son incarnation d'Arthur Fleck, allant jusqu'à perdre de nombreux kilos. Sa maigreur effarante contribue à adhérer au mal-être d'Arthur. Un acteur caméléon qui n'hésite pas à prendre régulièrement des risques, à la façon de Christian Bale, l'un des Batman, justement. L'Oscar du meilleur acteur remporté par Joaquin Phoenix en 2020 pour cette interprétation est amplement mérité.
Todd Phillips a réussi le pari audacieux, sans effets spéciaux, de nous faire partager l'intimité, non pas d'un super-héros, mais d'un futur tueur machiavélique en nous rappelant que les méchants les plus terrifiants sont ceux qui nous sont les plus proches. Car n'oublions pas que malgré la détresse qui se lit sur le visage d'Arthur, il deviendra le symbole du mal absolu...
Film "Joker" de Todd Phillips DVD Warner Bros 2019/2020